Le 24 octobre 1971 à 14h18, le sport automobile suisse perdait l’un de ses plus grands ambassadeurs : Jo Siffert. La tenue d’une exposition unique de photographies de Akira Mase consacrées au pilote suisse à Fribourg est l’occasion pour Wheels And You de se revenir sur ce destin unique à une époque où les pilotes automobiles étaient de vrais gladiateurs.

Né à Fribourg en 1936 dans une famille modeste, Jo Siffert a depuis très jeune été passionné de sport motorisé. A la fin des années 50, il s’engage en moto dans le championnat suisse qu’il remporte en 1959 dans la catégorie des 350 cm³. Puis, après une incursion en side-car comme copilote, il débarque sur “quatre roues” au volant d’une Formule Junior Stanguellini. Sans ressources financières, il conjugue, avec son activité de pilote, une activité de revendeur de véhicules d’occasion accidentés qu’il retape en vue de les revendre.

C’est en 1961 qu’il entame sa carrière de pilote professionnel au sein de la Scuderia Ferrari lors des 1000 km du Nürburgring pour le Championnat des Voitures de Sport. Son incursion en Formule 1 se fait dès l’année suivante, avec l’Écurie Nationale Suisse. Il disputera ainsi les deux championnats en parallèle. Au Grand Prix de Monaco, l’écurie privée Scuderia Filipinetti remarque le talent du pilote fribourgeois et l’engage sur le champ pour le reste du Championnat du Monde 1962. En 1963 et 1964, il court sous ses propres couleurs, le “Siffert Racing Team”.

C’est également en 1964 que Jo Siffert entame sa riche collaboration avec Porsche en Sport-prototypes. Côté commercial, il devient agent officiel Porsche à Fribourg.

En 1965, Siffert intègre le RRC Walker Racing Team. C’est le début de la “professionnalisation” de son métier de pilote, n’ayant plus à gérer les à-côtés de la course automobile au sein de cette structure importante.

Les saisons 1966, 1967 sont en demi-teinte, au volant d’une Cooper-Maserati peu compétitive. En endurance, il décroche quelques places d’honneur au volant d’une Porsche 906 avec notamment une seconde place aux 1000 kilomètres de Monza.

L’année 1968 sera celle des premiers succès. Après un début de saison laborieux au volant d’une Lotus 49B, Jo Siffert remporte sa première victoire en Formule 1 au Grand Prix de Grande-Bretagne qui s’est déroulé sur le circuit de Brands-Hatch. Parallèlement, en endurance, il monte sur la première marche du podium lors des 12 Heures des Sebring, les 1000 Kilomètres du Nürburgring ainsi que les 500 Kilomètres de Zeltweg, à bord de sa Porsche 907. Au total, toutes catégories confondues, Siffert aura pris le départ de trente-neuf courses.

Toujours sous les couleurs du Rob Walker Racing, Siffert entame sa saison 1969 sur les chapeaux de roues avec pas moins de trois podiums. Malheureusement il en sera tout autrement durant le reste de la saison qui se soldera sur de nombreux abandons.
A l’inverse, au Championnat des Voitures de Sport c’est quasi un carton plein. Avec Brian Redman sur les Porsche 908 et 917, il inscrit son nom au palmarès de six courses et occupera les places d’honneur sur quatre des huit manches de Can-Am aux Etats-Unis.

En 1970, Jo Siffert est considéré comme une référence dans le monde de l’endurance. Enzo Ferrari le contacte pour lui offrir un volant en Formule 1 ou en Voitures de Sport, ou même les deux. Sachant que Porsche ne souhaite pas voir son pilote fétiche en endurance courir sur Ferrari en Formule 1, la marque de Stuttgart consent au pilote suisse une rallonge substantielle afin qu’il reste au volant des 908 et 917 en endurance mais court chez March en Formule 1. Ce sera une année de disette durant laquelle le pilote fribourgeois ne marquera aucun point au Championnat de F1.
Heureusement, au volant des Porsche du John Wyer Gulf Team, Siffert et son acolyte Redman marqueront de leur empreinte les plus belles courses d’endurance et l’histoire du sport automobile, ferraillant sec, notamment aux 1’000 km de Spa, avec leurs coéquipiers Rodriguez-Kinnunen. Qui n’a jamais vu cette image mythique ou les deux 917 attaquent de front l’Eau Rouge et son Raidillon ?

1971 débute sous de meilleurs auspices en Formule 1. Passé chez BRM, Siffert jouit d’une voiture compétitive et brille particulièrement en qualifications. Il réalise même, au Grand Prix d’Autriche, le grand chelem, à savoir : la pole position, devant Jackie Stewart, mène la course de bout en bout, sa seconde victoire, et signe le meilleur tour en course. La saison 1971 aura été la meilleure pour Jo Siffert, terminant quatrième du championnat du monde, à égalité avec Jacky Ickx, avec 19 points, une pole, un record du tour, une victoire et deux podiums.
En endurance, il ne remportera, aux côtés de Derek Bell, que la première manche de la saison à Buenos-Aires. A noter qu’en neuf participations aux 24 Heures du Mans, Siffert est passé plusieurs fois à un cheveu de la victoire au classement général, devant se résigner soit sur casse mécanique ou sortie de route.

En raison du décès en cours de saison 71 de Pedro Rodriguez, équipier de Siffert chez BRM en F1 et Porsche en endurance, le Grand Prix du Mexique qui devait se dérouler le 24 octobre 1971 est annulé. Afin de célébrer le deuxième titre mondial de Jackie Stewart, les Britanniques récupèrent cette date pour la “Victory Race”, une course exhibition hors championnat. Jo Siffert y participe à contre-coeur.
Perdant dix places au départ, le pilote suisse entame une remontée d’anthologie pour pointer à la quatrième place au quinzième tour. John Surtees, qui suit le Fribourgeois à près de 260 km/h, voit la BRM du Suisse zigzaguer sur la piste, se déporter à gauche, heurter un talus de protection qui renvoie l’auto sur la piste et percuter le panneau de signalisation de la courbe Hawthorn. Le bolide heurte à nouveau le talus, perd son réservoir gauche, se retourne, est projetée en l’air puis s’écrase et explose. Coincé dans son cockpit avec une jambe fracturé, probablement sans connaissance, Joseph Siffert décède asphyxié. Sa sortie de piste demeure inexpliquée : a-t-il été victime d’une crevaison lente comme quelques semaines auparavant en Autriche ? L’une de ses suspensions s’est brisée ? Comme Clark, Rindt, ou Rodriguez avant lui, Siffert a emporté avec lui le secret de sa mort. Il avait 35 ans.

L’annonce de la mort du pilote fut un choc incommensurable en Suisse. Nombreux sont ceux qui se souviennent d’où ils étaient ou ce qu’ils faisaient lorsqu’ils apprirent la nouvelle. Les obsèques de Jo Siffert eurent lieu le 29 octobre 1971 à Fribourg. Une foule de plus de 50’000 personnes se massa dans les rues de la Ville, suivant le cortège ouvert par la 917 aux couleurs Gulf qui l’aura si souvent mené à la victoire.

 

Saviez-vous que…

… Jo Siffert a été le premier à secouer le champagne sur un podium ?
Le 11 juin 1967, à l’arrivée des 24 Heures du Mans, Jo Siffert remporte l’indice de performance. Ayant de la peine à déboucher la bouteille, l’idée lui vient de la secouer et asperger les pilotes qui partagent avec lui le podium. Cette tradition, inaugurée par Siffert, demeure encore aujourd’hui.

… Jo Siffert a été le premier pilote à apporter en F1 un sponsor non issu de l’automobile ?
C’était en 1968. Pour CHF 25’000.- Siffert accepta de porter le logo Heuer sur sa combinaison et sa voiture. Ont suivi par la suite les cigarettiers.

… Jo Siffert fût chargé par la maison de production du film “Le Mans” de trouver les voitures nécessaires au tournage des séquences de course ?
Ce qu’il fit, bien entendu, engagé comme conseiller de Steve McQueen pour USD 5’000.- par semaine… Des Corvette, Chevron, Porsche 908, 911R, 914, 917 et Ferrari 512 furent empruntées ou rachetées, puis louées à la société de production. A la fin du tournage, les voitures furent remises en état par la société de production et revendues par Siffert comme des voitures “ex-Steve McQueen”.

 

TV

“La Télé” consacre sa soirée du 24 octobre à Jo Siffert. Un talk-show débutera à 19h30, suivi du film “Jo Siffert” de Hugo Corpataux.

 

Exposition

L’espace d’exposition de la Librairie St-Paul à Fribourg accueille jusqu’au 11 novembre une collection inédite et unique de clichés de Jo Siffert réalisés par Akira Mase.

Libraire St-Paul
Pérolles 38, Fribourg
Lundi : 13h30-18h00
Mardi-Vendredi : 9h30-18h30
Samedi : 10h00-16h00

 

Pour en savoir plus sur Jo Siffert :

Internet
– www.josiffert.com, le site créé par son fils Philippe

Livres
– “Jo Siffert. La légende suisse du sport automobile “ , par Ed Heuvink, Editions McKlein Publishing
– “Jo Siffert. Le mythe a dépassé le pilote”, par Gilles Liard, Editions La Sarine
– “Jo Siffert. Tout pour la course”, par Jacques Deschenaux, Editions Solar

Films
– “Jo Siffert. Live Fast, Die Young”, de Men Lareida, disponible en DVD
– “Jo Siffert”, de Hugo Corpataux, disponible en DVD

 

 

Crédits photo : www.josiffert.com, Marc Le Beller, www.outnow.ch, Wikipedia, Mémoire des stands.