Economie – Lotus “new era” : mais où va-t-on ?

La tenue ces jours-ci du salon de Genève est l’occasion pour nous de revenir sur le plan quinquennal initié en octobre dernier par Lotus et surtout de faire le point de la situation. 770 millions de Livres Sterling (env. CHF 1,15 milliard), cinq ans, pas moins de cinq modèles différents. Qui, quand, quoi, où, comment, pourquoi, combien, où en sommes-nous ? Wheels And You vous rappelle les faits et tente de vous donner quelques éléments de réponse.

 

 

Ce fut sans conteste LA sensation de la dernière édition du Mondial de Paris en octobre dernier, même si quelques signaux de fumée étaient déjà apparus durant l’été 2010 : Lotus débarqua en Gaule avec pas moins de cinq concept-cars aboutis préfigurant la gamme future de la marque. Du jamais vu ! Chaque modèle ambitionne de devenir la nouvelle référence de son segment en termes de rapport prix/performances/consommation. De plus, les nouveaux patrons l’affirment sans ambages, leurs cibles se nomment Ferrari, Porsche, Lamborghini, McLaren et Aston Martin. Rien que ça ! Grattons un peu pour voir ce qui se cache sous le vernis des Esprit, Elan, Elise, Elite et Eterne…

Qui ?
Dany Bahar, notre compatriote et nouveau patron de Lotus arrivé de chez Ferrari en 2009, souhaite faire de la petite marque anglaise un acteur majeur et incontournable du Grand Tourisme. Il se donne cinq ans et s’est entouré d’une équipe de choc pour y parvenir, au premier rang desquels nous retrouvons Proton, l’actionnaire majoritaire malaisien, qui a alloué à Bahar une enveloppe de pas moins de 770 millions de livres sterling (env. 1,15 milliards de francs suisses) pour son plan-produit quinquennal. Ce montant comprend bien sûr le développement, la mise en production et la commercialisation des protos dévoilés à Paris, mais également les modèles d’après 2015 et la stratégie marketing globale (produits dérivés, sport, etc.).
Du côté du staff, Dany Bahar a débauché chez Ferrari Donato Coco pour superviser l’équipe du design. L’outil de production, archaïque il est vrai, va être réorganisé de fond en combles par deux transfuges de Porsche et AMG. Bien entendu, une révolution pareille nécessite une stratégie marketing à la hauteur; celle-ci sera placée sous la houlette des deux Andreas (Prillmann et Schlegel) qui avaient déjà fait les beaux jours Porsche et Aston Martin. Enfin, dernier mercenaire, Wolf Zimmermann, ancien responsable de l’ingénierie chez AMG et père du fameux V8 6.3 litres qui équipe les versions délurées de la marque à l’étoile, reprend la direction technique de Lotus. La vieille garde anglaise est reléguée aux postes de second rang.

Quoi ?
Selon Bahar, c’était le dernier moment pour corriger le tir et permettre à Lotus de survivre. Il faut dire que le constat était pour le moins alarmant et l’ensemble commençait à sentir le sapin : les ventes atteignent péniblement 2000 voitures par an, la gamme s’articule majoritairement autour d’une plateforme ou presque, l’Elise, qui accuse le poids des ans (près de quinze) et tente tant bien que mal de jouer les prolongations avec plus qu’une seule motorisation, la plus modeste, disponible au catalogue. Le réseau de vente est quasi confidentiel, bien que couvrant de nombreux pays et le dernier modèle, l’Evora, peine à trouver son public. La rentabilité n’est donc plus assurée, propulsant ainsi la marque créée par Colin Chapman en 1948 droit dans le mur. De plus, l’Elise et ses dérivés s’adressaient malgré tout à une clientèle spécifique de puristes amateurs de sensations sportives mais surtout disposés à « subir » un confort spartiate et une accessibilité toute relative restreignant de facto le public-cible à une portion congrue. L’Evora, dont le but premier était d’élargir et acquérir une nouvelle clientèle « GT » a singulièrement manqué sa cible malgré de réelles qualités intrinsèques. Bahar ne le cache pas, un constructeur de voitures de sport se doit d’écouter le marché et réaliser ses demandes afin de contenter un maximum de clients. En clair, plaire au plus grand nombre, leur donner ce dont ils attendent d’un constructeur de GT aujourd’hui et faire du volume. Autrement dit, le “Light is Right” a vécu.
A titre de comparaison et chez les Anglais toujours, Aston Martin se trouvait à la fin des années 90 dans la même situation que Lotus aujourd’hui : une gamme restreinte basée sur une plateforme antédiluvienne (Aston Martin V8 des années septante), un outil de production artisanal pour ne pas dire suranné et des ventes insignifiantes. Grâce aux investissements colossaux réalisés par Ford dans un premier temps et en élargissant sa gamme, Aston Martin a renoué avec le succès et les ventes se sont accrues de manière spectaculaire. Rolls Royce et Bentley ont par ailleurs été soumis au même régime après leur reprise respectivement par BMW et VW.

Comment ? Combien ? et où ?
On assiste donc avec Lotus a une sorte de mise à jour se matérialisant par une correction sévère de la stratégie. Et les objectifs sont ambitieux : à l’horizon 2015-2016, le seuil de rentabilité doit être atteint. Selon Bahar, le coût de développement de la future gamme avoisinerait GBP 400 millions. Le montant est certes impressionnant, mais dans le domaine, c’est « peanuts » ! Pour comparer, le développement et la mise au point de la seule MP4-12C chez McLaren avoisine le double de ce montant (certes avec le développement complet d’un moteur et une transmission maison). Comment dès lors imaginer développer cinq GT du même rang avec un si petit budget ? L’Esprit, la nouvelle « new » Lotus à voir le jour d’ici environ deux ans, sera la « donneuse d’organes » pour les futurs modèles. La plateforme ainsi que le concept général des prochaines autos, notamment l’architecture du châssis selon le procédé inauguré par l’Elise dans les années 1990, seront repris en grande partie de la nouvelle Esprit, modifiés et adaptés selon les spécificités techniques de chaque modèle. Ceci devrait permettre d’abaisser considérablement les coûts et dès lors maintenir une marge suffisante tout en diversifiant l’offre. Du côté des motorisations, Lotus parle pour l’heure de l’adaptation de moteurs Toyota, même si pour le futur les patrons de la marque pensent sérieusement à la création de leurs propres blocs propulseurs, question d’image. Les prévisions de ventes sont estimées à 7-8000 voitures pour 2016, soit grosso modo environ 1500 à 2000 exemplaires de chaque modèle présenté à Paris. Ces chiffres ne paraissent pas si farfelus en les comparant aux 7000 Ferrari vendues au plus fort de la crise ou les dizaines de milliers de Porsche écoulées chaque année. Du côté des chaînes de production, Lotus espère conserver les chaînes de montage dans le Norfolk si l’Etat anglais consent à offrir une garantie de crédit de GBP 46 millions pour la construction d’une nouvelle usine et la création d’un bon millier d’emplois. Dans le cas contraire, Lotus pourrait se tourner sans scrupules par exemple du côté de Magna en Autriche (qui assemble également l’Aston Martin Rapide) ou Valmet en Finlande où son assemblées les Porsche Boxster.

Pourquoi ?
Cependant, il reste une question de taille : est-ce que Lotus ne risquerait pas de se fourvoyer en sacrifiant son âme « light is right » sur l’autel du Grand Tourisme mainstream avec de bonnes grosses GT ? Son image et sa clientèle actuelles ainsi que la perception générale du grand public sont aux antipodes de ce que représentent les principaux concurrents auxquels Lotus va s’attaquer. Par ailleurs, de nombreuses lacunes sont à combler, notamment en ce qui concerne la qualité de fabrication – surtout avec la débauche de fibre de verre et carbone dont seront affublés les futurs modèles – et le service après-vente. Quant à savoir si une telle réorientation de la gamme et de la stratégie sera couronnée de succès, difficile à dire, ce d’autant que présenter maintenant un modèle qui ne sera disponible qu’en 2015 paraît pour le moins incongru. Les tendances stylistiques, les progrès techniques ainsi que l’édiction de nouvelles normes de sécurité, par exemple, risquent immanquablement d’influer de manière plus ou moins importante sur la version définitive du produit. De toute manière, vu la situation et de l’aveu même des nouveaux pilotes de la marque, l’échec de ce projet « new era » ou la poursuite des affaires sur le même mode que l’actuel conduiront immanquablement à la même conséquence : la mort de Lotus. Un travail considérable attend donc le département marketing, domaine dans lequel Dany Bahar a toujours excellé.

Et après ?
Entre octobre 2010 et aujourd’hui, passablement d’eau à coulé sous les ponts. L’équipe marketing a profité du salon de Los Angeles pour réitérer le buzz de la nouvelle gamme outre-Atlantique en embrigadant au passage quelques stars locales en manque de notoriété, voire « has been », pour jouer les ambassadeurs de charme.
Parallèlement, Dany Bahar débarque en fanfare dans le sport automobile avant tout par stratégie marketing. La marque a lancé son programme de constructeur/motoriste en Indycar, des Evora courent en GT2 et seront également présentes en endurance (GT4) aux 24 Heures du Mans, notamment. Mais l’incursion la plus remarquée reste celle en Formule 1 en devenant le sponsor principal de l’ancienne écurie Renault F1 Team, reprise par le fonds luxembourgeois Genii Capital. Le constructeur français demeure toutefois impliqué en fournissant les moteurs. Commence alors une bagarre homérique entre Team Lotus (Tony Fernandes, casaque vert et jaune) contre l’écurie Lotus Renault GP (Dany Bahar, casaque noir et or). L’enjeu : l’utilisation du nom « Team Lotus » dont la licence a été retirée à Fernandes suite à l’arrivée de Bahar dans le paddock. Rien n’est gagné de part et d’autre et les tribunaux vont commencer à s’arracher les cheveux dans quelques semaines.

Même si la démarche de Bahar est louable, voir un nouveau nom participer à différentes disciplines du sport auto est toujours intéressant, il faut que cet investissement se traduise également en retombées industrielles et surtout en ventes ! Car d’un point de vue économique l’avenir de Lotus n’est pour le moment toujours pas garanti. Proton (maison-mère du groupe Lotus) a annoncé récemment des résultats en demi-teinte et les engagements pris auprès de l’Etat et d’établissements financiers privés pour redresser Lotus pèsent lourd dans la balance. En outre, la situation de Proton sur son marché domestique s’est fragilisée, ayant perdu son statut de numéro un. Ses propres modèles sont élaborés à partir de plateformes Mitsubishi, en majorité, datant de dix à quinze ans et leur renouvellement devient urgent. Une fusion avec son principal concurrent local, Perodua, serait très bien vue par l’actionnaire étatique. Il apparaît donc primordial, tant du côté anglais que du côté malaisien, qu’une alliance avec un groupe automobile solide prenne forme. Il y aurait bien Toyota qui fournit déjà les deux derniers moteurs utilisés sur les autos de route restant en production du côté d’Hethel actuellement. Mais cette solution ne semble pas être la bonne pour l’heure, sachant visiblement que le constructeur japonais n’a plus dans son catalogue un propulseur digne de ce nom pouvant remplacer celui des anciennes Elise R, SC et les différentes versions d’Exige dont la production a stoppé pour cette raison, entre autres. Dès lors,  je serais prêt à parier que Bahar joue un double agenda, à savoir autant promouvoir Lotus via la Formule 1 qu’assurer sa stratégie – et donc la santé de Proton – via une association avec le groupe Renault-Nissan pour la production industrielle. Mais on en est encore très loin et Carlos Ghosn, qui on le rappelle avait maintenu l’écurie de Formule 1 du bout des lèvres, préfère très certainement se débarrasser purement et simplement d’une activité coûteuse que remplacer un borgne par un aveugle.

En définitive et le temps passant, les plans ambitieux de Dany Bahar apparaissent de plus en plus irréalistes et risquent bien d’avoir raison des moyens du groupe Lotus, voire embarquer Proton lui-même au passage. Et ce ne serait là qu’une énième tentative et très probablement la toute dernière pour redresser Lotus. Une chose est cependant certaine : le LIR (Light Is Right) est mort. D’ailleurs d’autres constructeurs comme Alfa Romeo n’ont pas tardé à s’engouffrer dans la niche des petits coupés sportifs d’une tonne et moins, désormais délaissée par Lotus, avec la 4C qui a été présentée à Genève cette année. Et ce n’est selon moi que le premier d’une longue liste tant les principes de base définis par Colin Chapman il y a plus de quarante ans sont plus que jamais d’actualité pour survivre aux nouvelles normes et restrictions dans le monde automobile ! Affaire à suivre.

 

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