Essai – Land Rover Defender : Requiem pour une légende
Pour la fin de la production de son Defender, Land Rover lui offre un bouquet final de trois éditions limitées. Ce monument automobile a donc subsisté jusqu’à notre ère et, quoique savoureusement daté, il demeure inarrêtable sur le terrain. Décliné en simple voiture, en ambulance, en transporteur de fond ou autre véhicule d’exploitation minière, le Defender aura tout vu dans sa vie. Après 67 ans d’une carrière plus que riche, il est temps pour lui de tirer sa révérence.
Texte et photos : Patrick Schneuwly
Il est des essais qui marquent plus que d’autres. Parfois ce sont les performances hors normes qui subjuguent, d’autres fois ce sont les expériences que l’on ressent au volant qui restent gravées comme souvenir. Cet essai du Defender restera dans ma mémoire pour une raison simple: après celui-là, il n’y en aura plus aucun autre… jamais. En 2015, Land Rover a commercialisé la dernière série de son 4×4 mythique sous la forme de trois éditions spéciales appelées Adventure, Autobiography et Heritage. C’est avec cette dernière déclinaison que Wheels And You a passé plus de deux semaines aux commandes d’un véhicule fort attachant.
Assemblés jusqu’en janvier 2016 à l’usine de Solihull, ce sont plus de 2 millions d’exemplaires qui sont sortis de cette chaine de montage. Je n’ai eu la chance d’y goûter que très tard, pourtant me voilà atteint par le virus. A moi de vous faire partager cet essai, mais surtout de lui rendre un vibrant hommage ”before to wave him goodbye”, comme disent les anglais.
A l’extérieur
Le dessin du Defender n’a fondamentalement pas changé depuis la sortie du premier Land Rover, en 1948. A l’époque, il s’appelait encore Series (I, II et III), puis, en 1983, les noms de 90 et 110 sont apparus. Ce n’est qu’en 1990 qu’il a été baptisé Defender, alors que, esthétiquement, il était toujours identique à ses prédécesseurs.
Au cours de sa vie, il a existé sous de nombreuses formes, dont trois longueur de châssis (90, 110 et 130), plusieurs carrosseries (Soft Top, Hard Top, Station Wagon, Chassis Cab et Pick Up) et selon nombre d’applications particulières que Land Rover fabrique lui-même. Notre Defender Heritage d’essai est un 110 Station Wagon. Ni moderne, ni néo-classique, il n’a pas pris une ride de 1983 à aujourd’hui et les similitudes par rapport aux tout premiers modèles sautent aux yeux.
Conformément à celle de son ancêtre, la carrosserie est entièrement en aluminium et les points de soudures électriques des panneaux sont apparents. A l’époque, juste après la deuxième guerre mondiale, le choix de l’aluminium était simple car il était moins cher que de l’acier. Pour l’anecdote, la couleur de cette version Heritage, identique à celle du premier Land Rover Series 1, était une des seules que Land Rover pouvait obtenir en grande quantité à l’époque, car il s’agissait des surplus de l’armée qui s’en servait pour peindre ses avions Spitfire.
La calandre arbore une plaque “Land Rover Solihull 1948/2015” en son centre. La forme proéminente du capot n’est pas que pour faire joli, mais pour accueillir le moteur TD4, placé très haut dans la caisse. Enfin, sur l’aile, on trouve un autocollant reprenant la plaque “HUE 166”, l’immatriculation du tout premier Land Rover Series de l’histoire.
Alors qu’il mesure entre 2m et 2m18 de haut, dépendant de la configuration de carrosserie et des pneumatiques, vous interdisant ainsi l’entrée de bien des parkings sous-terrain, les parties vitrées ne sont pas hautes pour autant. Son petit pare-brise quasi vertical et ses essuie-glaces ont leur charme, tout comme les poignées de porte à bouton poussoir so vintage.
A l’intérieur
L’intérieur d’un Defender, c’est un concept en soi. Oubliez ce que vous savez des autres modèles Land Rover, spécialement du Range Rover : il n’y a rien de tout ça ici. Pour trouver quelque chose qui ressemble à ce cockpit, il faut remonter dans le temps. Depuis quand n’avez-vous vu une fenêtre à manivelle, des boutons mécaniques pour la ventilation, un embrayage qui donne l’impression de fendre des pierres, ou ne serait-ce qu’une boite manuelle sur un SUV ? Voilà l’ambiance d’un Defender : décalée et identique depuis des années, que dis-je, des décennies. Il n’y avait aucune raison d’en changer pour les ultimes versions !
L’équipe de designers, s’il y en avait une, ne s’est jamais souciée d’ergonomie. Les sièges, de couleur sable et brodés du label de la marque, sont installés là où il restait de la place. Par chance, le volant est en face du conducteur, mais ce n’est pas le cas des pédales, totalement désaxées sur la gauche. Si l’embrayage vous semble encore plus dur, c’est que vous appuyez sur le frein. Alors que la voiture est très large, les deux passagers avant sont assis contre les portes. Je suis tenté de conduire fenêtre ouverte pour savoir où mettre mon bras gauche, tant le poste de conduite est étriqué.
Le grand volant à deux branches augmente cette sensation de manque de place, d’autant plus que le siège ne peut se reculer de beaucoup. Au centre du volant, pas d’airbag ni de klaxon, mais une grosse pièce en plastique moussé qui me saute presque au visage.
La planche de bord couleur carrosserie regroupe toutes les fonctions du véhicule, que ce soit la radio (ici avec les options MP3, Aux, iPod et Bluetooth de Alpine) et la ventilation, mais aussi les vitres électriques, uniquement à l’avant et incluses dans le Convenience Pack à CHF 840.-, ainsi que l’essuie-glace arrière (option à CHF 200.-). C’est plutôt original, mais logique au regard des commandes derrière le volant dont le nombre de fonctions est très limité. Les rangements sont spartiates comparés à la place à bord. Seule la malle entre les deux sièges avant offre une contenance conséquente : un reflex numérique et son objectif y trouvent facilement leur place.
Notre modèle d’essai est un 5 portes et 7 places (la 3ème rangée, deux sièges distincts rabattables latéralement, est facturée CHF 960.-). L’accès à bord pour les passagers n’est pas des plus aisés, et c’est par le coffre qu’on entre le plus facilement. Les portes latérales sont dépourvues de marchepieds (mais ça existe dans le catalogue des accessoires), ce qui place le seuil à 62 cm du sol. Il faudra penser à éviter les vêtements serrés et je parie que les quelques dames vues à son volant n’étaient sans doute pas en jupe.
Mis à part la position des pédales assez déroutante, on est plutôt bien assis, aussi bien à l’avant qu’à l’arrière sur des sièges dignes des standards de la marque. Une étiquette “HUE 166” commémore une nouvelle fois le tout premier Land Rover de l’histoire. L’habitabilité, même sur le dernier rang, est impressionnante. La place aux jambes n’est pas abondante, mais le volume d’air pour la tête et la luminosité donnent une sensation d’espace que je ne retrouve dans aucune autre voiture.
Bien que brut et peu esthétique, l’intérieur du Defender est simplement resté ce qu’on lui a toujours demandé d’être: robuste, simple et fonctionnel. Certaines excentricités sont peu pratiques au quotidien, mais elles font le caractère d’un modèle mythique vendu pour la dernière fois sous sa forme originale.
Sous le capot
Pour mouvoir les 2 tonnes du Defender, c’est un 4 cylindres diesel de 2.2l suralimenté qui est mis à contribution. Les 122 chevaux qu’il développe à 3’500 t/min semblent anecdotiques, mais c’est bien le couple camionesque de 360 Nm à 2’000 t/min auquel il faut prêter attention. Ce bloc, issu du Ford Transit à la conception éprouvée depuis longtemps, arrive aux limites de son développement.
Le premier rapport de la boite 6 vitesses, même sans réduction, semble pouvoir faire grimper le Defender aux arbres. Une fois le différentiel central bloqué et la démultiplication réduite, il se frayera un chemin où que vous essayiez de passer. Attention cependant, ce Defender n’est pas équipé pour l’aventure, les protections du châssis font défaut et des dégâts sont vite arrivés sur ces parties très exposées.
Bien que Land Rover veuille l’authenticité, la marque anglaise s’est quand même permis de mettre une direction assistée à ce mastodonte. Assistée oui, mais sans aucune force de rappel au centre. Tout ce que vous tournerez dans un sens, il faudra le refaire dans l’autre. Pour la petite histoire, la sortie de mon parking s’engage dans une petite ruelle avec un mur de chaque côté. Eh bien à chaque fois je me retrouve à devoir redresser la direction alors qu’il faudrait passer la seconde. Je vous laisse imaginer la scène…
Au volant
Le véhicule qui se rapproche le plus du Defender en terme de conduite, c’est le bon vieux Puch de l’armée Suisse. Je me rappelle de ce grand volant et de la position de conduite tout juste réglable, ainsi que de cette direction un peu floue et de la visibilité très limités sur les côtés et l’arrière. Mais le Puch avait une boite automatique, la comparaison s’arrête donc là.
Un premier aspect de la conduite d’un Defender c’est d’avoir son gabarit dans l’oeil. Vers l’avant on voit parfaitement bien où s’arrête le capot et le sommet des ailes aide à situer ce 4×4 sur la largeur d’une route. Les montants étant très fins, la vue de 3/4 avant est dégagée. Les choses se gâtent lorsqu’il faut regarder vers l’arrière, surtout avec ce modèle 110. Ainsi, avec le rétroviseur intérieur, il faut voir par dessus les sièges et la roue de secours. On ne voit donc pratiquement pas ce qui se passe à hauteur de capot d’une voiture normale, et ce sur plusieurs mètres. Ajouter des aides au stationnement arrière ? Inutile, les capteurs seraient trop hauts.
Les deux rétroviseurs extérieurs, ni chauffants ni réglables de l’intérieur, donnent deux fenêtres de vision vers l’arrière. Eux aussi placés très haut, ils laissent un très grand angle mort des deux côtés du véhicule. Heureusement, dès que l’on sait où regarder, les généreuses surfaces vitrées laissent voir ce que l’on risque d’abimer en déportant son carrosse. Si le Defender a de grandes chances de s’en tirer indemne, l’autre voiture, pratiquement quelle qu’elle soit, pourrait bien finir en épave.
Les premières vitesses étant très courtes, il faut déjà plusieurs changements de rapport avant d’atteindre ne serait-ce que 40 km/h. Cela oblige à adopter un style de conduite plus serein, plus posé qu’avec la plupart des autres autos. On ne peut pas être pressé avec ce Land Rover. Même sa vitesse maximum est limitée à 145 km/h et, au delà de 110 km/h, la consommation vous rappelle à l’ordre. En usage mixte, j’ai calculé un appétit de 12.4 l/100km avec quelques trajets autoroutiers.
En manipulant la boite de vitesses du Defender, vous ne passerez pas à côté du fait qu’elle est mécanique. L’embrayage demande un certain effort et, à chaque déplacement du levier, on ressent la vibration de chacune des pièces en mouvement dans la transmission. Elle reste toutefois très précise à utiliser, malgré son authenticité très marquée.
Vous proposer l’essai d’un Land Rover sans vous parler de ses aptitudes en tout terrain serait une hérésie. Par deux fois j’ai donc quitté la route pour exploiter ce tout-terrain dans son environnement naturel. Sur des routes forestières non-carrossables ou à travers la forêt, en suivant des traces parallèles dans la terre, le Defender se déplace avec aisance. A son bord, on est pas mal secoué, mais le véhicule semble clairement fait pour ça. En troisième ou quatrième vitesse, avec la réduction, le couple du ralenti est suffisant pour progresser à plat et retenir la bête en descente.
Les changements d’angles autorisés sont impressionnants, mais il faut rester attentif à ne pas poser le milieu du châssis sur un rocher ou un monticule de terre. Cet angle de sortie est réduit de 12° par rapport au châssis court. En substance, là où vous êtes passé dans un sens, il se peut que vous ne passiez pas dans l’autre. Je n’ai malheureusement pas pu expérimenter la hauteur de passage à gué annoncée à 50 cm.
En me déplaçant en ville avec cet engin, j’ai eu droit à deux types de réaction de la part des gens. Il y a ceux qui m’ont dévisagé, l’air de dire que je n’ai rien à faire là, mais ceux que le côté cocasse de la situation amuse m’ont gratifié d’un petit sourire en coin. Cependant, le plus drôle reste de croiser un autre Defender sur son chemin, car il est d’usage, entre conducteur, de se saluer, même en se dépassant sur l’autoroute, l’air de dire : “Toi aussi tu es assez fou pour conduire ça?!”.
Verdict
Si vous avez lu cet article dans l’optique d’un achat neuf, inutile de vous précipiter chez votre concessionnaire, toute la production a trouvé acquéreur. Et même le deux millionième Defender construit avec l’aide de célébrités et paré de nombreuses marques commémoratives a été adjugé aux enchères à 400’000£ au profit d’une œuvre caritative.
Dorénavant, le virus Defender se transmettra entre amis, puis la période de recherche de la perle rare d’occasion s’en suivra. Pour vos éventuelles quêtes, notez que la boite 6 vitesses est arrivée en 2007. Durant ces dernières années, quelques modèles spéciaux ont été commercialisés, comme le SVX (uniquement en noir, 90 SW et SoftTop, 110 SW seulement, équipés de sièges baquet Recaro) ou le RAW/X Tech (couleur Nara Bronze, en 90 et 110).
Ce Land Rover Defender, c’est la toute dernière icône automobile qui restait en production, la 2CV ayant tiré sa révérence en 1990, la Coccinelle en 2003 et le VW combi ayant joué les prolongations jusqu’en 2013 au Brésil. Il y a bien Jaguar qui a refait des Type E Lightweight comme à l’époque, mais la marque n’en a que six à disposition, ainsi que son registre des numéros de châssis le permet.
En conclusion, je suis heureux d’avoir pu goûter à ce bonheur simple de rouler en Defender. Je suis parmi les plus jeunes de la rédaction de Wheels And You et j’aurai le plaisir de dire à mes enfants que j’ai connu ce 4×4 mythique de l’intérieur. En 2015, ce n’est pas un chapitre, mais tout un tome de l’histoire automobile qui se termine. Pour ma part, je souhaite que le nom de ce modèle reste dans l’histoire comme celui d’un véhicule robuste et que rien n’arrête, ce serait une belle marque de respect rapport aux années et nombre de services rendus. Reste à voir ce que la marque va concocter, d’ici un ou deux ans, pour remplacer le mythe, mais pour l’heure, contentons nous de saluer dignement feu le Defender.
Land Rover Series, 90, 110, Defender; 1948 – 2015.
Prix et options – Land Rover Defender 110 “Heritage”
Prix de base : CHF 50’700.-
Roues hiver complètes : CHF 2’204.-
Climatisation : CHF 2’040.-
Pack 7 places : CHF 960.-
(2 sièges individuels en 3ème rangée)
Pack Convenience : CHF 840.-
(vitres électrique à l’avant et verrouillage centralisé à télécommande)
Pack hiver : CHF 760.-
(sièges avants et pare-brise chauffants)
Radio CD, MP3, Aux, Bluetooth : CHF 340.-
Vitre arrière chauffante avec système essuie-glace : CHF 200.-
Prix TOTAL : CHF 58’044.-
Pour partager vos impressions, rendez-vous sur le forum UltraSportives.
Nos remerciements à Jaguar Land Rover (Suisse) SA pour le prêt de ce Land Rover Defender 110 “Heritage”, ainsi qu’au garage Autobritt SA pour leur soutien logistique.
Merci également à Sébastien M. pour sa participation à la séance photos avec son Land Rover Series 1.
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