26 June 2024

Après pratiquement 120 ans, le constructeur embrasse un nouveau mode de propulsion avec la première version toute électrique d’un coupé baptisé Spectre. Est-ce que cette transition signifie une remise en question de son prestigieux passé ou même un renoncement à son statut? Bienvenue dans le seul coupé 100% électrique de la gamme Rolls Royce.

  • Deux moteurs électriques
  • 584 ch
  • 900 Nm
  • Boîte de vitesse à rapport unique
  • Vitesse maxi : 250 km/h
  • 0 à 100 km/h en 4.5 sec.
  • Poids : 2’975 kg
  • Long./larg./haut. (mm): 5’453 x 2’080 x 1’559
  • Conso. mesurée : 25 kWh/100 km
  • Emissions CO2 : 0 g/km (A)
  • dès EUR 400’000.-, mod.essayé: EUR 470’400.-


Texte et photos : Tony da Silva


Après un concept car présenté à Genève en 2011 sous la forme d’une Phantom VII toute électrique nommée 102EX, le mythique constructeur automobile annonçait la Spectre en 2022. Ce modèle remplace la Wraith et je me suis armé de patience en attendant de pouvoir finalement essayer cette automobile. J’ai toujours été persuadé que la propulsion électrique était la prochaine évolution majeure avec un impact significatif sur ce segment ultra exigeant.

Et je ne suis pas le seul à le penser ! En me documentant un peu, j’apprends que Charles Rolls, l’un des fondateurs de Rolls-Royce, déclarait en 1900 que la voiture électrique serait probablement le véhicule parfait pour une voiture de luxe. Silencieuse, aisée à conduire et sans émissions olfactives liées à un moteur thermique, elle aurait tout pour convaincre le propriétaire exigeant.

Encore un point sur le client type Rolls-Royce avant de plonger dans cet essai : en moyenne, il possède sept voitures, roule sa Rolls environ 4’000 km par an sur une dizaine de trajets. Toute la question est donc de savoir si cette clientèle est prête à acquérir une Rolls-Royce toute électrique ou pas.

A l’extérieur

En optant pour une propulsion complètement électrique, est ce que la marque allait également revoir son design et réviser l’image que l’automobile dégage sur la route? La réponse est clairement non.

La Spectre ressemble à une autre Rolls-Royce même si elle à son style propre. Elle reprend tous les codes et représente l’héritage d’une marque qui a gravé l’histoire de l’automobile. Le capot haut perché et d’une longueur délirante laisse penser que la voiture héberge au minimum un V12, voire même un 18 cylindres mais il n’en est rien. Les mensurations de la Spectre demeurent hors normes pour un coupé qui devrait très probablement être décliné dans une version cabriolet.

Juchée sur des jantes de 23 pouces, la Spectre mesure presque 5.5 mètres de long et pratiquement 2.1 mètres de large. L’équipe en charge du design a en quelque sorte abordé ce projet en trois zones distinctes: elle a d’abord gardé comme une signature ce long capot avec une imposante calandre alors qu’il n’y a plus de moteur à refroidir ou même à placer. Puis, l’habitacle situé dans l’empattement de 3.21 mètres laisse présager d’un large volume pour les quatre occupants. Enfin, l’arrière de la voiture accueille un coffre qui vient terminer l’ensemble dans une expression plus fine et un volume moindre.

Cette Spectre et sa représentation dans l’espace publique ne laisse pas les passants indifférents. Nombreuses sont les personnes qui regardent, médusées, cette voiture à l’arrêt ou dans le trafic. Leur expression semble alterner entre l’effarement et parfois la contemplation.

Grâce à son design, la marque annonce le meilleur Cx de l’histoire avec une valeur de 0.25, ce qui me semble plutôt excellent compte tenu du gabarit de ce coupé. Pour référence, la Ghost affiche un Cx de 0.33.

A l’intérieur

Bien entendu, la taille impostante se traduit par un habitacle aux larges dimensions équipé de sièges qu’on retrouve généralement dans un salon. Leurs assises sont très confortables et beaucoup de travail a été effectué sur la partie arrière afin d’offrir deux vraies places. Même si la voiture ne vise pas vraiment une philosophie du type chauffeur avec passagers à l’arrière, c’est parfaitement envisageable.

Avec l’arrivée des voitures électriques, beaucoup de constructeurs adoptent un style très minimaliste de la planche de bord ou du tunnel central, en regroupant toutes les commandes ou presque via l’écran tactile. Mais Rolls Royce ne cède pas aux sirènes du “zéro bouton”. Au contraire, il y a encore pléthore de boutons, manettes et autres molettes pour accéder directement aux fonctions de la voiture et pour cause : ce sont les mêmes que dans les autres véhicules présents ou passés de la marque. En somme, il n’y a pas de bouleversement ou de révolution pour les clients de la marque.

Pour ce qui est de l’instrumentation derrière le volant, c’est encore plus sobre avec uniquement trois cadrans qui s’affichent sur un écran haute définition : à gauche une première jauge qui regroupe la consommation et la recharge, au centre la vitesse et à droite l’autonomie. Trois petites zones de texte viennent agrémenter tout ça avec à gauche l’heure et à droite la température ainsi que la position de la transmission (P, R, N et D).

Ce minimalisme et la qualité de l’écran est très appréciable pour les yeux mais les ingénieurs ont tout de même voulu offrir quelque chose de spécial aux futurs propriétaires : l’aiguille virtuelle du compteur de vitesse évolue dans un nuage de petites étoiles qui rappelle le plafond Starlight Headliner aux quelques 1’500 étoiles. Notez que si vous êtes fan d’une constellation en particulier, vous pouvez demander à Rolls-Royce de la reproduire au plafond. Autre détail, la planche de bord du côté passager arbore une section avec 5’500 LEDs qui reflètent l’aile de la mascotte “Spirit of Ecstasy”. Tous ces éléments sont discrets et ne font que révéler le savoir-faire d’une marque centenaire.

Sur le plan physique, le confort des sièges, y compris à l’arrière, est tout simplement irréprochable. Même les pieds sont confortablement installés sur une moquette pure laine de mouton de 3 cm d’épaisseur. Et je peux témoigner que malgré mes 183 cm, l’accès aux places arrière est aisé et l’espace pour les jambes et la tête copieux. C’est probablement le coupé actuel le plus agréable à vivre pour les passagers à l’arrière.

Seul ombre au tableau pour ceux qui espèrent partir pour un grand voyage avec beaucoup d’affaires, le coffre propose seulement 380 litres, ce qui semble petit vis-à-vis de la taille de la voiture. Deux bagages au format “cabine” ne posent pas de problème mais vu l’agencement du coffre, emporter deux grandes valises sera plus compliqué. Toutefois, ne vous inquiétez pas, l’équipe Bespoke (atelier pour le sur mesure) de la marque vous trouvera une solution luxueuse et, sans doute, hors de prix.

Sous le capot 

La nouveauté majeure de ce modèle, c’est vraiment son système de propulsion. La Spectre est munie de deux moteurs électriques d’une puissance de 258 ch à l’arrière et 486 ch à l’avant. L’ensemble est alimenté avec une batterie d’une capacité nette de 101.7 kWh.

La marque a opté pour un système électrique de 400V contre 800V chez d’autres constructeurs. La conséquence de ce choix ? Au-delà de simplifier un peu l’architecture électrique de l’auto, il limite la puissance de recharge maximale à “seulement” 195 kW. Pour rappel, plus la borne est puissante, plus rapide est la recharge. Ceci dit, en Suisse, il n’y a pour l’instant qu’une quinzaine de bornes offrant 300 kW ou plus, dont seulement cinq en Suisse romande.

Théoriquement, cette grande batterie promet une autonomie d’environ 530 km WLTP alors que la consommation moyenne est annoncée à 23 kWh/100km. Dans la réalité, j’ai mesuré environ 25 kWh/100 km, soit plutôt un bon score au regard des presque 3 tonnes de la voiture. Mais il correspond à 400 km d’autonomie au mieux. A noter également que le frein moteur est très puissant : sur un freinage, j’ai mesuré une régénération de 99 kWh… Impressionnant.

Au volant

Comme d’habitude au volant d’une Rolls-Royce, la première chose à faire, c’est de s’habituer aux dimensions. Le long capot plongeant ne permet pas de bien cerner les limites de la voiture même si la figurine “Spirit of Ecstasy” constitue un repère. Le reste est encore moins visible mais heureusement, la dizaine de caméras permet de manœuvrer sans encombre grâce à des vues différentes ou une vue panoramique à 360 degrés. Les quatre roues directrices améliorent également la manœuvrabilité en offrant un rayon de braquage de 12.7 mètres ce qui, pour les dimensions de l’engin, n’est pas si mal.

Tous les réglages sont évidemment assistés : sièges, rétroviseurs, volant, etc. Les passagers avant peuvent enregistrer leurs réglages. Au-delà du généreux espace intérieur, il faut aussi parler des matériaux de première qualité qui le constituent. A l’heure où les constructeurs optent pour des “imitations” de certains matériaux dans un souci environnemental ou simplement économique, la marque de Goodwood reste fidèle à ses principes. Par exemple, les buses de ventilations sont en métal chromé. Un cuir irréprochable recouvre pratiquement toutes les surfaces de la voiture.

Et la conduite alors ? J’y viens.

Le confort est un concept somme tout assez personnel. Le bruit d’un moteur ou de l’échappement dans une voiture de sport fait partie de l’expérience et est agréable lorsque la conduite devient endiablée. A l’inverse, une Rolls-Royce représente à mes yeux le summum d’une conduite feutrée, pour ne pas dire une sorte d’apesanteur sensorielle. Dans le passé, la marque devait se battre contre le bruit du moteur, la manière dont la combustion délivrait sa puissance, la gestion du couple, le passage des vitesses, etc. tous ces éléments pouvant nuire au confort et à la quiétude “absolue” des occupants. Avec l’arrivée de moteurs électriques puissants et de batteries de grandes capacités, le constructeur britannique peut désormais éliminer tous les composants qui pouvaient perturber le confort.

La Spectre garde son levier de vitesse derrière le volant et j’apprécie que la marque maintienne cet objet emblématique introduit en 1949 sur la Silver Dawn. Depuis quelques années, tous les constructeurs ou presque éliminent le levier de vitesse et optent pour des boutons mais pas Rolls-Royce. Les chauffeurs et autres conducteurs occasionnels de la marque peuvent ainsi garder leurs repères.

Grâce à une simple pression sur le bouton de démarrage, la Spectre est prête à être manœuvrée. Je positionne d’un doigt le levier de vitesse sur D et relâche la pédale de frein progressivement pour que la voiture commence à se mouvoir. Bien entendu, dans cet habitacle feutré, tout ce que je vois bouger, c’est la “Spirit of Ecstasy” au bout du long capot, qui me fait penser à la figure de proue d’un navire. Rapidement, je rejoins l’autoroute et c’est un premier test pour évaluer la puissance de la Spectre en m’insérant dans le trafic. Un simple effleurement de la pédale de vitesse permet à la voiture de gagner en vélocité jusqu’à une centaine de km/h dans une grande quiétude alors que la jauge de puissance indique qu’il reste encore environ 90% de la puissance.

Une fois à 120 km/h, il faut comprendre que le bruit généré par un véhicule provient à environ 50-60% de l’aérodynamique et 40-50% des roues. Grâce à la grande batterie située sous le plancher, le bruit provenant de la route est encore mieux filtré que sur les modèles thermiques. L’amortissement agit comme une sorte de matelas avec une compression souple pour amortir un défaut routier et une détente lente pour revenir à sa position initiale. Sur autoroute, ce système fait penser à un tapis volant qui flotte sur l’air et filtre tout.

Bien entendu, les parkings étroits ou les ruelles aux trottoirs saillants ne sont pas le terrain de jeu de ce coupé d’exception. Il faut de l’espace pour que cette automobile puisse se laisser aller et en particulier pour vérifier si les 584 ch sont vifs et prêts à en découdre si besoin. Effleurer la pédale tout comme conduire avec un doigt sur le volant, c’est facile. Sur 50% de la course de la pédale, la puissance est délivrée de manière linéaire et incrémentale. Par contre, passé les 50% de cette course, il y a une espèce de ON/OFF qui s’active et le salon cossu de première classe devient une cabine d’avion propulsée par quatre réacteurs, enfin quatre roues. Clairement, ce n’est pas aussi décapant qu’une Ferrari ou une Tesla Model S Plaid. Toutefois, assis dans ce cocon anéchoïque au confort absolu, tout ou presque semble en apesanteur. C’est une analogie pertinente car dans les modèles thermiques persiste un vague grondement lorsque le V12 atteint les 5’000 ou 6’000 t/min. A l’inverse, dans la Spectre, même le sifflement caractéristique des véhicules électriques est imperceptible.

Enfin, les portions de route où la Spectre est le moins à son aise sont les lacets et tracés sinueux abordés avec un rythme dynamique. Les trois tonnes, ainsi qu’un centre de gravité un peu haut malgré les 700 kg de batteries dans le plancher, entraînent un peu de roulis. Rien de grave mais la Spectre n’est pas faite pour ça.

Dans son souci de perpétuer un roulage dans le meilleur confort possible, la voiture est bien entendu bourrée d’électronique sans qu’il soit possible d’en modifier les réglages d’usine. C’est un choix non pas technique mais de confort, RR voulant épargner à ses clients des menus et autres choix incongrus comme le style de conduite. Opter pour un mode sportif ou même économique ne fait aucun sens dans cette automobile.

Verdict

Mon essai se termine. La Rolls-Royce Spectre et ses quelques décibels en moins rend l’expérience encore un peu plus exclusive et suave. Ce n’est pas qu’il y ait quelque chose à reprocher aux modèles équipés du V12 et de la boîte automatique. Néanmoins, la marque doit s’adapter à son époque en renonçant au thermique et l’exercice est parfaitement réussi.

Je parle de “renoncer” car Rolls-Royce a annoncé que toute sa gamme sera électrique d’ici 2030. La rupture est donc actée et pour le moment, ça semble être le bon choix puisque 50% des acheteurs sont de nouveaux clients. Mieux encore, depuis 20 ans, leur moyenne d’âge a baissé de manière significative. Est-ce que la prochaine Phantom sera équipée d’un double pack de batteries pour augmenter son autonomie? La marque et ses clients ne sont pas à 700 kg ou CHF 15’000.- CHF.

Sur ce point, la Spectre propose une autonomie de “seulement” 400 km. Mais est-ce un problème ? Quand vous avez six voitures et que vous dépensez près d’un demi-million de francs dans le firmament de l’automobile de luxe, c’est un détail qui me semble mineur et qui n’est pas vraiment nouveau. Pour rappel, les versions thermiques, avec leur réservoir de 90 litres, bénéficient au mieux d’une autonomie de 500 à 600 km. En réalité, le divertissement réside plutôt dans la recherche d’un restaurant étoilé ou d’un palace qui offre une borne de recharge et d’y faire une halte pour un verre ou une nuit. Quel bonheur de ne plus devoir s’arrêter à une station-service avec toutes ces voitures bas de gamme qui trahissent un goût douteux de leur propriétaire ou de leur pouvoir d’achat !

Dernière anecdote, alors que je faisais le plein d’électrons sur un petit parking, un badaud à vélo s’arrête et quand il apprend que cette Spectre est une voiture électrique, il s’exclame : “Mais alors, vous êtes écologiste?” Complètement hilare, je n’ai pas pu répondre autre chose que “oui”.

Prix et options – Rolls-Royce Spectre

Prix de base : EUR 400’000.-

Exterior : Morganite / Gunmetal

Interior : Grace White / Ardent Red / Peony Pink

Veneer : Open Pore – Tudor Oak

Park Assistance Plus

Active Protection for Pedestrians

Advanced Driver Assistance Systems

Bespoke Audio

DAB Tuner & Apple CarPlay

Ventilated Massage Seats

Refrigerant

Body Coloured Wheel Centres

Two-Tone Feature Line

RR Monogram to all Headrests (Peony Pink)

Coloured Seat Piping (Peony Pink)

Dynamic Bespoke Clock

Shooting Star Headliner

Illuminated Grille

23’’ Wing Spoke Part Polished Wheels

Rear Privacy Glass

Lambswool Footmats

Prix TOTAL : EUR 470’400.-

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Nos remerciements à Rolls-Royce Motor Cars pour le prêt de cette Rolls-Royce Spectre, ainsi qu’à Rolls-Royce Motor Cars Geneva (Pegasus Automotive Group) pour leur soutien logistique.

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