05 October 2019
2019-10-05
L’Angleterre est connue pour son histoire automobile et chaque année depuis plus de 20 ans, dans la région du West Sussex, plus précisément sur le circuit de Goodwood, se déroule un des événements les plus exceptionnels qui met à l’honneur les courses qui s’y sont déroulées jusqu’en 1966. Il s’agit du Goodwood Revival et, par ce récit, je vais tenter de vous partager les émotions de cette manifestation hors pair.
Texte : Sébastien Morand / Photos : Roger Uhlmann
Grand adepte des voitures classiques, j’ai découvert le Revival en 2004, puis j’ai eu l’occasion d’y retourner quelques fois jusqu’à cette édition 2019. Elle est marquée d’une croix dans mon agenda dès l’annonce des dates, généralement le deuxième week-end de septembre, je mettrai un point d’honneur à y revenir chaque année.
Le plus dur maintenant est de définir par où commencer… il y a tant de chose à dire sur le Revival et surtout c’est quasiment impossible de retranscrire l’ambiance sur place. Il faut le vivre pour s’en rendre véritablement compte.
Le circuit est situé sur la propriété de Charles Gordon-Lennox, 11ème Duc de Richmond, dont le titre précédent parlera plus aux habitués, Lord March. Créé en 1948 par son grand-père, Freddie Richmond, il a été le théâtre de nombreuses compétitions automobiles jusqu’en 1966, avant d’être fermé. Dans les années 90, le Duc de Richmond décide de le réhabiliter et finalement il crée le Revival en 1998.
Toutefois, ce ne sont pas simplement des courses de voitures et de motos, c’est toute une atmosphère qui envahit l’événement avec notamment un dress code fortement recommandé afin d’être dans le thème de l’époque où se déroulaient initialement les épreuves. On pourrait penser à du simple déguisement sans un réel engouement, mais que nenni… c’est plutôt si vous ne jouez pas le jeu que vous ferez tache !
D’ailleurs, à mon plus grand regret, il y a malheureusement de plus en plus de gens qui viennent en jeans et t-shirt, voire même en short, comme s’ils allaient à la plage. J’en viendrai même à penser que les organisateurs devraient obliger les visiteurs à revêtir une tenue adéquate. Et ne venez pas me dire que c’est compliqué, il y a moyen de faire très simple.
Bien évidemment, sur place, vous constatez rapidement que la plupart des visiteurs vivent la manifestation à fond. Même si, pour ma part, j’alterne la combinaison de mécano et la veste en tissu tartan, avec toujours une chemise, un nœud papillon et un béret, je suis bien loin des plus audacieux. Des photos parlent mieux que des mots, je vous laisse le soin d’apprécier… et surtout prenez en de la graine si vous envisagez de venir l’année prochaine.
A cela vient s’ajouter une multitude de stands et animations qui sont là encore un moyen de revenir dans le passé. Tout le staff, les infrastructures, etc. sont aussi dans le thème. Il y a bien évidemment quelques exposants qu’on ne s’attend pas à retrouver ici, par exemple l’Office du Tourisme Suisse qui fait la promotion de notre pays en mettant en avant la course rétrospective Ollon-Villars dont la prochaine édition se déroulera les 22 et 23 août 2020.
Je ne m’attarderai pas trop sur tout cela, il y en a pour tous les goûts, notamment en matière de restauration avec une place toute particulière pour le traditionnel Fish&Chips.
On peut aussi retrouver une sorte de Salon de l’Automobile (The Earls Court Motor Show) qui du coup met en avant des modèles anciens et nouveaux. Une des « guest star » de cette année, c’est le nouveau Land Rover Defender, mais il y a aussi une fameuse Aston Martin DB4 GT Zagato Continuation. Sympa, mais clairement pas ce qui m’excite le plus quand on voit tout le reste.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, et comme au centre du circuit il y a un aérodrome, nous avons également la possibilité d’admirer plusieurs engins volants, que ça soit en statique ou en vol. Moment fort pour cette année, une parade d’un Spitifire et deux P51 Mustang. Je vous garantie qu’à la simple écoute de leurs moteurs Merlin, vous faites un bond dans le passé.
Parlons du cœur de ce Goodwood Revival, les voitures et motos qui contribuent à l’excellence de cet événement. Placé dans des paddocks distincts à différents endroits du circuit, le panel de véhicules est exceptionnel. S’il y a des catégories qui sont représentées chaque année, il y a aussi des spécificités pour chaque édition.
Tout d’abord, en dehors des véritables courses, des parades agrémentent chacune des trois journées, souvent faisant référence à un anniversaire. Cette année ce n’est pas moins de quatre regroupements spécifiques qui sont organisés.
Premièrement, afin de fêter dignement ses 60 ans, environ 150 Mini sont exposées un peu partout dans l’enceinte et défilent toutes ensemble sur la piste. Il y a aussi un hommage à la marque Cooper dont bon nombre de voitures se sont illustrées en compétition entre les années 1940 à 1960. Pour commémorer le 75ème anniversaire du débarquement en Normandie, le fameux et néanmoins tragique D-Day, 80 véhicules militaires en tous genres défilent également sous nos yeux.
Clou de cette partie « show », une recréation de la course RAC TT de 1959, avec la présence de plusieurs autos de l’époque. Sixième et dernière manche du championnat, cette épreuve a été le théâtre de bon nombre de péripéties. Une des plus marquantes a été l’embrasement d’une des Aston Martin DBR1 sur la voie des stands après que le tuyau d’essence pour le ravitaillement ait été ouvert trop tôt. Pas de blessés, mais une voiture détruite et une zone inutilisable. Conscient de l’enjeu, une équipe privée Aston Martin s’est retirée pour laisser son emplacement dans les stands et Stirling Moss a pu repartir avec la deuxième voiture de l’autre équipage officiel. Il a su amener sa DBR1 de remplacement jusqu’à la victoire, permettant ainsi à Aston Martin de devenir Champion du Monde devant Ferrari et Porsche. Pour vous donner un exemple de la folie britannique pour la mise en scène, à chaque fin de cette parade, un fumigène explose dans les stands, donnant l’impression qu’il y a un véritable incendie. Je vous garantis que le premier jour, on se fait tous avoir et que le lendemain, on peut facilement identifier les personnes qui n’étaient pas présentes la veille. Quel spectacle !
Maintenant place aux choses sérieuses, je vais vous parler des différents plateaux. Enfin comme il y en a une quinzaine, ça va être compliqué de tout détailler.
Une des courses les plus mythiques à mes yeux, le Kinrara Trophy. Il regroupe un plateau de GT’s, avec moteur de plus de 3.0, qui ont couru jusqu’en 1963. Pour que ça vous parle un peu plus, on peut y retrouver cette année une Ferrari 250 GTO et pas moins de huit 250 GT SWB ! A cela vous rajouter quelques Aston Martin DB4 GT, des Jaguar Type E, etc… Au total 26 autos sur la grille de départ avec une valeur totale estimée qui avoisine les 250 millions !! La durée de la course étant de 60 min, chaque équipage est composé de deux pilotes, généralement le propriétaire et un véritable pro. Quelques noms pour vous donner une idée du niveau : Tom Kristensen, Darren Turner, Andre Lotterer, Dario Franchitti, etc. A savoir qu’ils ne sont pas là pour se balader, le meilleur chrono étant réalisé à 155 km/h de moyenne. Il y a donc des sérieuses batailles, mais aussi de temps en temps de la casse. Dur à concevoir, mais tellement beau à observer. Seul regret concernant le Kinrara Trophy, aussi bien les essais que la course se déroulent le vendredi, donc le reste du week-end, on n’a malheureusement plus la chance de voir évoluer ces voitures exceptionnelles.
Le Fordwater Trophy est, lui, réservé aux voitures de sport et aux GT’s du début des années 60. Cette année on peut notamment y retrouver plusieurs Porsche 911 2.0, auto qui voit son engouement exploser depuis la création d’un championnat mono-modèle sur différentes courses historiques.
Parce qu’il y a aussi des deux roues au Revival, le Barry Sheene Memorial Trophy saura ravir les passionnés de motos. Un peu moins ma tasse de thé, mais il faut admettre que ça fait partie des plus beaux spectacles. Là aussi quelques stars viennent participer, tels que Michael Dunlop, Troy Corser, John McGuinness et surtout cette année, Dani Pedrosa.
Autre plateau haut en couleurs, le St Mary’s Trophy qui fait la part belle au « Saloon Cars » qui ont couru entre 1950 et 1959. Attention, on est loin de la berline de grand-papa, pour le coup les autos sont affutées minutieusement et proposent une exhibition grandiose. Deux courses sont organisées pendant le week-end, dont une première qui rassemble une impressionnante liste de pilotes tous plus talentueux les uns que les autres. Il y a notamment deux de nos compatriotes, Neel Jani et Marcel Fässler, mais aussi Tom Kristensen, Richard Attwood, Karl Wendlinger, Tiff Needell, Stig Blomqvist, Andre Lotterer, Karun Chandhok, Emanuele Pirro, Amanda Stretton, Rauno Aaltonen, Romain Dumas, Darren Turner, Jochen Mass. A cela se rajoute d’autres noms connus, tels que Nick Mason, Christian Horner, Chris Rea, etc. Toute cette équipe s’en donne à cœur joie pour se tirer la bourre sur la piste, c’est génial.
Le Goodwood Trophy comprend les autos de Grand Prix et Voiturettes qui couraient entre 1930 et 1951. Maserati, ERA et Frazer Nash sont représentées en masse.
Le Glover Trophy regroupe les F1 avec moteur 1.5 de la période 1961 à 1965. Pour le coup, c’est principalement des Lotus et des Cooper, mais aussi des BRM.
Le Sussex Trophy fait aussi partie des moments importants avec des voitures de sport qui ont couru le championnat du monde entre 1955 et 1960. On y retrouve beaucoup de Lister, mais aussi des Jaguar Type D. Fait marquant pour cette édition 2019, la participation d’une voiture suisse. En effet, la Cegga-Ferrari 250 TR de 1960 a été conçue par les frères Gachnang à Aigle, sur la base de la Ferrari 250 TR58 (châssis 0742) qui avait été crashée. L’exemplaire présent à Goodwood est en fait une reconstruction identique de l’originale qui a nécessité plus de quatre années de travail et le Revival est sa première apparition. Le véritable exemplaire a lui été refait à la fin des années 60 aux spécifications d’une 250 TR58.
La course Earl of March Trophy propose un plateau de Formule 3 à moteur 500 cm3 qui ont couru entre 1948 et 1959. Surprenant de constater à quel point ces voitures sont petites, à se demander même comment un adulte peut s’installer aux commandes.
Le Richmond & Gordon Trophies regroupe les Formule 1 avec des moteurs 2.5 litres installés aussi bien à l’avant qu’à l’arrière. Elles participaient aux championnats entre 1954 et 1960, avec là aussi beaucoup de Lotus et de Cooper, mais aussi plusieurs mythiques Maserati 250F dont la sonorité est vraiment enivrante.
Dans le cadre du 100ème anniversaire de Bentley, le Brooklands Trophy est dédié aux modèles avant-guerre de la marque. J’affectionne tout particulièrement ces autos, avec un coup de cœur pour les 4.5 Litres Blower dont le sifflement du compresseur me fait dresser les poils. Presque 30 exemplaires, tous modèles confondus, datant de 1922 à 1930, sont présents. Fait intéressant de la course, les pilotes partent avec le toit fermé et ils doivent faire un arrêt au stand pour décapoter et ensuite repartir. Très amusant d’observer cela depuis les box. Et pour ceux qui disposent d’une auto à toit fixe, le pilote sort de la voiture et il doit savourer une tasse de thé en marchant autour de son bolide. So British, je suis fan !
Deuxième course d’une heure, toujours avec deux pilotes, la fameuse RAC TT Celebration. C’est LE trophée le plus prisé du Revival avec un plateau composé de GT et prototypes qui ont couru entre 1960 et 1964. On retrouve principalement des AC Cobra et des Jaguar Type E avec, en guest star, une des deux seules Type E Lightweight « low-drag » originales (immatriculation « 49 FXN »). Il y a aussi quelques autos plus particulières, telles qu’une Bizzarrini 5300 GT, une TVR Griffith 400, des Corvette Stingray, des Porsche 904 et 906 et l’Aston Martin DP212, un prototype que le constructeur a fabriqué pour participer aux 24 Heures du Mans en 1962. Pour mener ces prestigieuses voitures, la liste des pilotes fait aussi tourner la tête avec quasiment tous ceux qui s’alignaient dans le St Mary’s Trophy, voire même plus puisque Derek Bell, Benoit Tréluyer et Nicolas Minassian ont rejoint les rangs.
Le Whitsun Trophy promet des sensations fortes avec un plateau de sport-prototypes d’avant 1966. Lola T70 et Ford GT40, mais aussi quelques McLaren M1A et M1B, Lotus, Cooper, etc. s’affichent en force avec leurs gros moteurs dont les cylindrées varient entre 4’200 et 5’998 cm3. Deux Porsche 910 s’alignent aussi au départ avec leurs petits 2 litres, mais sans pouvoir jouer les trouble-fêtes. Pour cette course, le tour le plus rapide est fait à plus de 170 km/h de moyenne, ça vous donne une idée du rythme et ce n’est clairement pas de la rigolade.
Ultime plateau, le Freddie March Memorial Trophy fait honneur aux 9 heures de Goodwood qui ont eu lieu entre 1952 et 1955. On retrouve sur la grille des Jaguar Type C et Type D, des Ferrari, des Maserati, etc. ainsi qu’une surprenante Ford Thunderbird « Battlebird » motorisée par un bon gros V8 de 7.0 litres !
Ah non, il reste encore à vous parler de la Settrington Cup, deux courses réservées aux voitures à pédale, toutes des Austin J40. Au poste de pilotage, des enfants qui doivent parcourir les 340 yards de la ligne des stands. Le drapeau à damiers est agité par Sir Jackie Stewart et on ne sait pas trop qui sont les plus heureux entre les enfants ou les parents qui les encouragent.
Navré de ce long discours, mais il me semblait important de mentionner tous les plateaux, tant la variété est de mise avec, quelle que soit la catégorie, un spectacle garanti. Sans compter que je pourrais encore vous en parler pendant des heures. Point commun de tout cela, le visiteur peut profiter pleinement de l’événement car la piste n’est sécurisée qu’avec des barrières relativement basses et les paddocks sont presque tous accessibles sans restriction. Quel bonheur de profiter pleinement de cette ambiance, de croiser les pilotes qui déambulent ici et là, d’apprécier les tenues de gens, etc.
Vous l’aurez compris, je suis totalement accro au Goodwood Revival, c’est pour moi le meilleur événement automobile au monde. J’espère juste que les organisateurs limiteront la croissance de la manifestation car, entre ma première venue en 2004 et cette année, la surface exploitée a drastiquement augmenté. Autre souhait, et là-dessus je serai intransigeant, il faut conserver l’esprit unique du Revival en jouant le jeu du dress code, sans quoi je crains que ça soit de moins en moins authentique. Dans tous les cas, j’ai déjà bloqué les dates pour 2020, reste maintenant à patienter jusque là.
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Crédit photos : Roger Uhlmann