15 August 2012
2012-08-15
La lecture de cet essai est fortement déconseillée si vous un êtes fidèle client Jaguar : ce qui était tabou il y a peu est devenu disponible à la vente : un quatre-cylindres diesel de modeste cylindrée. Enquête au pays des contradictions, où le luxe s’acoquine désormais avec le sens de l’économie et de l’écologie. Vous avez dit « Shocking » ?
Texte : Claudy Rey / Photos : Yves Zogheb
Commençons par évoquer ce qu’était, il y a 20 ans, une « bonne » Jaguar. En caricaturant subtilement, on pense à un salon « Chesterfield » roulant tout confort, capable de flâner en ville autant que d’augmenter la cadence sans brusquer ses occupants. A l’époque, aller acheter le pain au son du V12 anglais le dimanche matin était un peu comme aller voir « Don Juan » à la Scala de Milan : un moment d’exception. Sous l’impulsion de son propriétaire Tata depuis 2008, Jaguar est entré récemment dans une phase de ‘grands chantiers’, et cela est réjouissant à plus d’un titre. Il y a eu l’actualisation de la gamme actuelle (XJ, XF et Coupé XK), mais aussi l’annonce d’une stratégie de conquête agressive matérialisée par un coupé compact deux places et décliné en roadster très attendu (F-Type). Mais l’avenir commence maintenant avec cette XF de deuxième génération, restylée et remotorisée. Au moment d’entrer à bord, je me demande ce qu’il subsiste de cet esprit typiquement « Jaguar », alors que ma promise se contente, et c’est une première, d’un quatre-cylindres turbo-diesel de 190 CV et de 6 litres de gazole en moyenne. Autant dire un « dé à coudre » pour une voiture de ce gabarit.
A l’extérieur
La précédente XF, lancée en 2008, avait suscité quelques critiques. Dessinée par le génial Ian Callum et bien que réussie dans l’ensemble, elle souffrait d’une face avant « américanisée », peu expressive, et de clignotants orangés d’un autre âge. Mais elle marquait avant tout une rupture nette avec la S-type qui la précédait, tout en rondeurs et autant de clins d’œil au passé, ce qui n’a pas manqué de déplaire aux puristes. Autant la S-Type flattait les amoureux de la marque, autant la XF a été dessinée pour gagner des parts de marché en attirant une nouvelle clientèle. Avec des résultats probants puisque, selon Jaguar, 50% de la clientèle ‘XF’ vient de la concurrence allemande. Mais revenons à Callum, fustigé d’avoir dessiné la XF en appliquant les « recettes Aston Martin », où il officiait avant de rejoindre Jaguar. En matière de design, on conviendra qu’il n’y a pas un nombre illimité de moyens pour aboutir à l’équilibre des volumes, la finesse des courbes et à ce qui rend une voiture « sexy ». Même en admettant que la poupe soit trop proche des dites Aston, pour la petite histoire, il serait juste de mentionner que c’est à l’âge de 14 ans que Callum a dessiné sa première Jaguar, dans le but d’y décrocher un job… c’est-à-dire 31 ans avant de prendre la direction du Design Jaguar. Un symbole d’opiniâtreté écossaise, qui aurait tout de même dû donner à ses patrons l’idée d’une médaille, voire d’une statue, en premier lieu pour avoir redonné à la gamme un véritable charisme. Mais passons à la revue de détails. C’est la face avant, à la signature optique en « J » typiquement dans l’air du temps, qui bénéficie le plus du restylage. On remarque de nouveaux phares aux paupières mi-closes rappelant sa grande sœur « XJ » et un capot plongeant très travaillé, peu pratique dans les manœuvres mais plaisant à regarder. Ce qui surprend le plus, c’est que la grande XF est si dynamique que, sur photo, on aura tendance à lui donner la taille en dessous. Et toujours la même ligne, sobre et affirmée à la fois. A mon sens, c’est une des références en termes de berlines routières et c’est encore plus flagrant en se garant à côté des voitures concurrentes. Pour résumer, La XF conserve sa cohérence tout en étant débarrassée de ses petits défauts de jeunesse : dans l’ensemble, l’exercice est plutôt réussi.
A l’intérieur
Entrer dans une Jaguar, pour l’automobiliste moyen, est une expérience en soi. Ce qui m’a surpris, pour ne pas dire « bluffé », en tant que néophyte, c’est la sobriété, voire la simplicité des formes, des matériaux et des fonctions. Pas de dessins futuristes, de boutons multi-usages, de connecteurs disséminés ça et là. Oubliée la ronce de noyer, c’est du bois foncé qui habille la console centrale et les contre-portes, le tout est du plus bel effet et à l’avantage d’être indémodable. L’atout de cette voiture, c’est qu’il n’y a pas de temps d’adaptation : tout tombe sous le sens et sous la main. Prenons le « Cruise control », qui s’enclenche d’une simple pression sur le volant, sans passer par l’inutile sélecteur ‘On/Off’, l’absence de bips sonores, où encore le sélecteur de la boîte automatique 8 vitesses dont la forme – qui rappelle un « Puck » de hockey sur glace – et la taille sont tout simplement parfaits. Mais tout n’est pas parfait : le grand écran tactile regroupe intelligemment toutes les fonctions, mais sa réactivité laisse un peu à désirer. Si le GPS est efficace, il demande un temps d’adaptation pour un utilisateur de « Garmin » ou de « TomTom ». Et enfin, le lecteur DVD a connu sur notre voiture quelques ratés de démarrage. La XF est large (192 cm, contre 186 pour une BMW série 5), ce qui se ressent de l’intérieur, où les passagers bénéficient d’un généreux espace aux coudes. L’ambiance est baignée de sérénité, la position de conduite idéale, mais lorsque le siège est réglé au maximum de la hauteur, la garde au toit est un peu chiche, surtout avec l’option « toit ouvrant ». Ceci ne concerne toutefois que les gabarits de plus de 190 cm. A l’arrière, l’espace pour les jambes est suffisant mais pas extraordinaire, contrairement au coffre à la profondeur abyssale qui profite le plus de la longueur totale et qui est capable d’engloutir une poussette ainsi que 2 petites valises. Alors que d’autres voitures vous gratifient d’une petite musique lorsque vous arrivez a destination voire d’une animation a l’écran, amusante pour les uns, énervante pour les autres, la XF vous offre le contact du bois verni à chaque fois que vous actionnez les vitres, et celui de l’aluminium massif lors des changements de mode de la boîte automatique. La technologie est bien là, mais invisible et silencieuse. Qui a envie de configurer sa voiture, alors que tenir à jour ses cartes GPS, changer la sonnerie de son Smartphone ou programmer son micro-ondes constituent un casse-tête quotidien ? Bien au contraire, ce que vous offre l’Anglaise, c’est un petit « spectacle » à chaque fois que vous démarrez le moteur : les quatre buses d’aération pivotent sans bruit, de concert avec le volant électrique qui s’ajuste et le sélecteur de vitesses qui sort majestueusement de son logement. Un procédé… complexe, coûteux et parfaitement inutile. En somme, exactement comme l’art où les rêves. Et pourtant, qui peut imaginer un monde sans l’un ou l’autre de ces refuges ? Pour ma part, je cautionne tout ce qui parle à l’enfant qui sommeille en chaque amateur d’automobile. Aujourd’hui encore, plusieurs jours après avoir repris mon propre véhicule, il m’arrive d’attendre que quelque chose se passe au démarrage, au niveau des aérations. Mais non, rien ne se tourne vers moi, si ce n’est ma femme, impatiente, me demandant ce que j’attends pour mettre la marche arrière. Longue vie donc au charme Anglais et à l’anticonformisme automobile.
Sous le capot
Pour bien juger ce nouveau « petit » moteur, il faut d’abord le mettre en face de l’ancienne version 6 cylindres 2.7 l. biturbo, dont la conception remonte à plus de dix ans. Surprise : le quatre-cylindres fait mieux presque partout, avec un couple de 450 Nm contre 435, un poids évidemment inférieur et en prime une consommation qui chute drastiquement. Durant l’essai et avec le système Start/Stop activé, j’ai constaté une moyenne de 7 litres, ce qui veut dire que le conducteur modéré atteindra facilement 6.5 litres, profitant d’une autonomie de près de 900 km. Selon le communiqué de presse, jamais une Jaguar n’avait offert un tel champ d’action. Je confirme, à une exception près : l’inoubliable XJ6 « double réservoir » de l’époque, mais uniquement parce qu’elle embarquait au moins autant d’essence qu’un Airbus prêt à décoller pour Auckland. Mais parlons performances : au kilomètre départ arrêté, la différence entre l’ancien et le nouveau moteur est de quelques dixièmes. Mais si les performances n’ont pas souffert – merci aux pistons à faible frottement et autres optimisations – la sonorité du moteur, on s’y attendait, est loin d’être flatteuse. Surtout au ralenti et lors de “kick-down” intempestifs où il manque nettement de rondeur. Par contre, en conduite normale (comprenez dynamique, car la XF ne se conduit pas autrement), le son et les vibrations ne sont pas comparables aux autres moteurs du marché. En charge, Il distille une sonorité plaisante, presque comparable à certains 6 cylindres. Ce n’est pas un V8 « Supercharged », mais ça colle plutôt bien à l’esprit cossu Jaguar. Et à vitesse élevée, le chuchotement est toujours de rigueur alors que, du moteur, vous ne voyez que l’effet : le paysage qui défile. Nul doute que les ingénieurs ont fourni un travail de fourmi pour arriver à un tel résultat, notamment à l’aide de supports moteurs actifs et de profondes modifications du bloc moteur. Ainsi, si la marque a cédé au downsizing, elle n’a heureusement pas bâclé la mise au point.
Au volant
Avant de prendre le volant, je me disais qu’il était stupide de garder un six-cylindres plus lourd et gourmand uniquement pour ne pas froisser les puristes, ceux-là même qui avaient crié au scandale lors de la sortie d’une version « Diesel ». Comme chacun sait, ce dernier n’a pas qu’un avantage économique, mais un couple omniprésent qui offre une conduite fluide et des reprises musclées à tous les régimes. Il aurait été dommage de s’en passer et cela est encore plus vrai aujourd’hui. Ce qui surprend dès les premiers mètres, c’est l’harmonie parfaite de l’ensemble moteur-boîte. J’ignore par quelle magie, mais tout transpire la légèreté et la réactivité, au contraire de ce qu’on attendrait d’un tel vaisseau. La XF est surprenante : vous estimez son poids à 1’600 kg, parce qu’elle vire comme une Golf GTI et accélère (en ville) comme un scooter. Erreur, tous pleins faits, c’est 1,9 tonne sur la balance. La recette ? Un châssis qui maîtrise les changements de cap de façon millimétrique, un roulis minimum et une remontée d’information impressionnante pour une telle voiture. Mais aussi un moteur au couple « camionesque » dont la quasi-totalité est disponible entre 1’500 et 2’200 tours. Ce dernier est exploité à merveille par la boîte automatique ZF qui dispose de 8 rapports, ce qui veut dire que lorsque vous passez la deuxième à 2’200 t/min, vous êtes en troisième à 1’800 t/min. Au bout du compte, le couple est toujours maximum et cela se sent sous la pédale des gaz. Du coup, on se surprend à adopter un style de conduite très dynamique et à profiter de cette vivacité rajeunissante. Paradoxal pour un tel salon roulant, mais pourquoi se priver alors que les vitesses de pointes sont hautement pénalisées, mais pas les accélérations ? Sur autoroute, on découvre un tempérament de grande routière, reposante mais pas ennuyeuse, encore une fois grâce à une direction très communicative. Attention toutefois aux reprises à haute vitesse, car c’est là que la puissance relativement modeste se fait ressentir. Pour relancer, il faut solliciter les rapports inférieurs, ce qui heureusement n’arrive pas souvent en respectant les limitations. Les manœuvres de parcage sont aisées mais attention à choisir la caméra de recul, car il est difficile de voir et d’estimer l’arrière comme l’avant.
Verdict
Le véritable verdict après un essai, c’est ce que l’on ressent au moment de rendre les clés. Après dix jours de test intensif, je confesse un petit pincement au cœur au moment de signer la décharge et un autre en démarrant ma voiture, dont la boîte auto 6 vitesses, qui faisait ma fierté de propriétaire avant l’essai, réagit mollement et semble fonctionner non pas au bain d’huile, mais au beurre de cacahuètes. Sur ce point j’aimerais être très clair : la boîte ZF qui équipe la XF est un prodige d’efficience. En effet, il n’y a pas si longtemps, opter pour une automatique signifiait se priver de 10% de puissance, tandis qu’avec les dernières générations, on ne sent pratiquement pas de décalage par rapport à une transmission manuelle. Un exemple ? Notre photographe estimait la puissance de la XF à 230 CV alors qu’elle n’en développe que 190. A noter que pour le millésime 2013 de sa XF 2.2 D, Jaguar ajoute 10 CV pour taquiner la barrière des 200 CV. Pour résumer, si la XF ne remplit que partiellement le cahier des charges d’une Jaguar traditionnelle qui se doit d’avoir une réserve de puissance dans toutes les situations, elle reste une voiture attachante et surprenante qui fait mentir les chiffres. Et au prix de base de CHF 59’500.-, elle pourrait bien faire des vagues, face à des marques généralistes qui facturent leurs moutures « toutes options » à des prix comparables, mais sans l’esthétique, ni l’exclusivité, encore moins l’espace. D’autant plus que sa carrosserie sera bientôt déclinée en version break, ou plutôt « Sportbrake », en bon anglais.
Prix et options – Jaguar XF 2.2 D
Prix de base : CHF 59’500.-
Peinture Premium : CHF 1’400.-
Pack « Portfolio » : CHF 8’900.-
(cuir, sièges AV chauffants et refroidis, applications en bois au choix, etc.)
Système d’accès sans clé « Keyless entry » : CHF 760.-
Fonction éclairage en courbe actif : CHF 800.-
Rétroviseurs extérieurs et intérieur électrochromes rabattables et chauffants : CHF 800.-
Système anti-angle mort : CHF 700.-
Pare-brise chauffant : CHF 560.-
Aide au parcage acoustique arrière avec caméra de recul : CHF 1’020.-
Bouches d’aération latérales chromées : CHF 270.-
Toit ouvrant électrique : CHF 1’700.-
Volant cuir chauffant : CHF 540.-
Système audio B&W 1200W 17 hp avec subwoofer : CHF 3’800.-
Système de navigation HD avec lecteur DVD et changeur CD virtuel : CHF 3’100.-
Interface Bluetooth : CHF 680.-
Jantes 19 pouces « Aquila » : CHF 1’900.-
Prix TOTAL : CHF 86’430.-
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Nos remerciements à Jaguar Land Rover (Suisse) SA pour le prêt de cette Jaguar XF 2.2D.
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