25 November 2017
2017-11-25
Refuser une invitation de se rendre en Angleterre pour visiter l’usine Bentley à Crewe ? Impossible ! J’ai déjà eu l’occasion de découvrir l’antre de différents constructeurs automobiles, il me tarde de pénétrer chez l’un des plus prestigieux.
Texte : Sébastien Morand / Photos : Bentley Motors – Max Eary
Au vu de mes affinités avec les marques anglaises, cette visite m’intéresse au plus haut point et cela malgré l’emprise du groupe Volkswagen sur le constructeur de Crewe. Que les passionnés soient aussi rassurés que moi, lors de ma visite, quasiment rien ne trahit quelqu’affiliation à la marque allemande. Nous sommes bien au Royaume-Uni, dans une belle usine qui fabrique des voitures anglaises d’exception !
Bien sûr, l’automatisation, la fourniture de pièces du groupe VW et la globalisation des plateformes prouvent les échanges de bons procédés. C’est presque partout pareil et sans cela je ne suis pas certain que Bentley existerait encore aujourd’hui. Mais malgré cela, à Crewe, c’est bien l’esprit Bentley qui affirme sa présence et c’est une très bonne chose.
Bentley a été fondé en 1919 par Walter Owen Bentley, également connu sous les initiales W.O. Ainsi vous comprendrez pourquoi les nouvelles Bentley s’affichent régulièrement avec les plaques IWO sur les photos officielles. A l’époque, W.O. Bentley voulait simplement concevoir une bonne voiture qui allait vite, la meilleure de sa classe. Aujourd’hui l’esprit reste le même et il faut admettre que Bentley ne s’en sort pas trop mal.
Difficile de parler de la marque sans mentionner Rolls-Royce qui avait racheté Bentley en 1931. Ce d’autant plus que j’ai visité l’usine Rolls-Royce l’année dernière. Certaines choses se ressemblent, mais ici c’est quand même un peu plus moderne et surtout beaucoup plus grand (521’111 m2, dont 166’930 m2 à l’intérieur). 4’000 personnes travaillent à Crewe, soit presque trois fois plus qu’à Goodwood. C’est aussi un peu moins artisanal, tout en le restant suffisamment pour conférer cette touche unique aux voitures de la marque.
Comme bon nombre de constructeurs automobiles, les usines font avant tout de l’assemblage. Nous débutons donc notre visite par les différentes chaines de montage. Il y a en permanence environ 100 voitures en construction. Ici on retrouve principalement des Bentayga, puisque le SUV correspond presque à la moitié des véhicules construits avec environ 5’000 exemplaires par an. La totalité de la production Bentley en 2016 était légèrement au dessus des 11’000 unités. Ensuite il y a la Flying Spur, mais aussi la Continental GTC dont la fabrication perdure indépendamment de l’arrivée de la nouvelle GT. D’ailleurs, pour cette dernière, même si la production des voitures clients n’a pas débuté, quelques exemplaires agrémentent ici et là la chaîne de montage. Petite surprise, dans un coin, avec une bâche la recouvrant presque totalement et un agent de sécurité qui la surveille, nous pensons apercevoir la future GTC, mais chut, car rien n’est officiel pour le moment. Il faut savoir que la Mulsanne, mais aussi le moteur W12 cher à la marque, sont totalement fabriqués dans les murs de Crewe et cela dans des parties spécifiques de l’usine.
Viennent ensuite les départements dédiés au travail du cuir et du bois. Et là, c’est véritablement un monde merveilleux qui vous allume des étincelles dans les yeux. Les bâtiments dédiés à ces activités sont impressionnants par leur taille. Proportionnellement au volume des pièces travaillées, un siège ou un tableau de bord étant moins encombrants qu’une voiture, l’espace à disposition est gigantesque. On y retrouve la sélection des matériaux, la découpe en fonction des besoins, les coutures et autres surpiqûres pour le cuir, la préparation des éléments en bois, etc. C’est phénoménal.
D’abord, nous visitons l’atelier pour le cuir qui comprend notamment la fabrication des sièges. Presque tout est cousu à la main par des personnes possédant un savoir-faire unique. Quel régal de les voir œuvrer ! A noter qu’il faut un peu plus de 20 heures pour concevoir un siège de Continental GTC Speed, sans compter les contrôles de qualité drastiques qui ne laissent rien passer. A l’en croire, l’homme responsable de vérifier le siège qui vient de se terminer sous nos yeux n’a aucun ami dans cette usine, humour british inside.
Nous découvrons ensuite la menuiserie, le « Wood Shop » comme ils l’appellent. Là règne une douce et agréable odeur de bois, quel charme. Tout comme pour le cuir, la sélection de la matière est faite de manière minutieuse. Chaque « plaque » de bois, composée de 24 couches, doit être totalement symétrique afin que les dessins des veines soient identiques devant les yeux du conducteur et ceux du passager, c’est complètement dingue. Pour la Mulsanne, c’est encore un cran au dessus, puisque il s’agit de bois massif dont le choix se fait là aussi de manière très exigeante.
Sachez également qu’il faut environ 2h30 pour apprêter de cuir un volant, dont 45 minutes simplement pour les coutures. Il faut le voir pour se rendre compte de la précision et de la qualité d’une telle fabrication.
Tout cela permet aussi de mieux comprendre pourquoi les autos de ce segment coûtent si cher. En réalité, ce n’est pas excessif, quand on voit le travail produit, la qualité des matériaux et le niveau de finition. C’est comme lorsqu’on détaille un repas dans un restaurant gastronomique. La marge est bien moindre que dans une simple pizzeria, les tarifs sont donc logiquement plus acceptables, il faut juste pouvoir assumer le budget de l’addition.
En parallèle de l’usine, Bentley dispose d’un petit musée qui présente les faits importants de l’histoire de la prestigieuse marque anglaise. Nous pouvons y admirer quelques voitures exceptionnelles, comme par exemple EXP2 qui est le deuxième prototype conçu par W.O. et la plus vieille Bentley visible encore aujourd’hui, puisque EXP1 n’existe plus. Il y a aussi une mythique Bentley 4 ½ Blower, modèle connu pour son compresseur et qui a fait la renommée de la marque en course automobile, notamment aux 24 Heures du Mans.
A ce sujet, chance incroyable, lors de notre visite, l’exposition comporte une Bentley 3 Litre de 1922, et pas n’importe laquelle. Il s’agit du châssis 141 qui fut à l’origine de la fascinante épopée des Bentley Boys. Cette voiture a été pilotée par John Duff et Frank Clement lors de la première édition des 24 Heures du Mans en 1923 où elle termina quatrième, puis en 1924, quand elle remporta cette mythique course automobile. Il est exceptionnel de pouvoir admirer cette voiture puisqu’elle appartient maintenant à un collectionneur australien, mais elle est à Crewe pour quelques temps. Le hasard fait parfois bien les choses.
Autre monument de l’automobile : la Bentley 8 Litre. Lancée en 1930, elle était l’une des autos les plus phénoménales de l’époque, mais elle n’a malheureusement pas eu le succès escompté par la marque à cause du crash de Wall Street en 1929. L’exemplaire devant nos yeux est d’autant plus exceptionnel, puisqu’il s’agit de l’ancienne voiture personnelle de W.O. que l’usine a racheté et restauré en 2006.
D’autres objets et voitures tout aussi extraordinaires agrémentent cette exposition et nous font revivre l’histoire d’un constructeur automobile légendaire.
Dernière étape importante de notre visite : nous rencontrons M. Stefan Sielaff, Directeur du Design chez Bentley. En plus de discussions ouvertes et sans retenue, l’homme, passionné par son travail nous détaille la dernière née de Crewe, la nouvelle Continental GT.
Malgré un passé chargé d’histoire, il nous explique que la marque ne se repose pas sur ses acquis et qu’elle est continuellement en quête d’innovations pour répondre aux demandes des clients. De nos jours, un constructeur doit être jeune et dynamique. C’est le cas pour Bentley qui n’a pas l’intention de s’arrêter là. Toutefois, pas de voiture autonome au programme, du moins pas plus que ce qui se fait depuis toujours chez Bentley, à savoir qu’il suffit de s’installer à l’arrière et c’est le chauffeur qui conduit. On y parle aussi avec prudence des voitures électriques. Bentley reste un petit constructeur et les législations changent très rapidement. Ce n’est pas toujours facile de s’adapter aussi vite que la maison mère Volkswagen. Néanmoins, la gamme devrait s’agrémenter prochainement d’une version plug-in hybride (PHEV) du Bentayga.
Pas de partenariat prévu non plus avec des bureaux de design externes, comme par exemple Aston Martin le fait avec Zagato. Pour ce faire, Bentley dispose du label maison Mulliner qui permet depuis bien longtemps de satisfaire toutes les excentricités possibles des plus exigeants. A noter que Mulliner est l’un des plus vieux designers du monde puisqu’il existe depuis plus de 500 ans et qu’à l’époque il créait des carrosseries de luxe pour calèches. Dernier projet en date qui vient d’être présenté à Dubai : la Grand Convertible ou déclinaison découvrable de la Mulsanne. Cette auto exceptionnelle verra le jour en 2019, à l’occasion des 100 ans de la marque et elle existera uniquement en 19 exemplaires !
Pour revenir à la nouvelle Continental GT, Stefan Sielaff nous explique qu’elle dispose d’un châssis plus long, mais que le train avant a été avancé afin de conserver un porte à faux très court, une spécificité Bentley. Les jantes sont dorénavant en 22 pouces de série, soit une taille de plus que sur le modèle précédent. La face avant perd son côté verticale car ce n’est pas optimum en terme de design. Un important travail a été fait pour amener le capot moteur jusqu’au dessus de l’imposante calandre. Le résultat est aussi réussi que l’identité Bentley demeure bien présente. Les phares, tant avant qu’arrière, ont été revus pour offrir une image spécifique à la voiture. C’est très important car c’est ce qui se voit aussi bien de jour que de nuit. La déclinaison GTC, soit le cabriolet, verra prochainement le jour et Stefan Sielaff précise qu’il est primordial de dessiner les deux modèles en même temps pour conserver leur style. L’habitacle, entièrement revu, est bien plus moderne et dans l’ère du temps. Pour la tradition, les aérations rondes avec les petites tirettes pour les actionner ont été conservées. Au centre du tableau de bord, le grand écran infotainement peut se retourner complètement pour laisser place à une horloge et deux compteurs classiques. Quelle élégance ! A noter encore qu’une version Speed, avec des éléments de carrosserie spécifiques, et la motorisation V8 compléteront bien évidemment l’offre. La future Flying Spur suivra et disposera d’une identité plus spécifique, de quoi bien la différencier de la Continental. Ecouter le Directeur du Design parler de son produit est passionnant, tant son enthousiasme est communicatif !
Pour conclure notre journée, nous prenons le volant du Bentayga. Wheels And You ayant déjà réalisé les essais du modèle W12 et du diesel, ce dessert n’est pas primordial pour moi. Toutefois, je me retrouve aux commandes d’un Bentayga W12 Black Edition. Quoique peu friand des voitures noires, je reconnais que cette teinte, agrémentée d’éléments en carbone, lui va plutôt bien. Cerise sur le gâteau, un échappement Akrapovic vient faire chanter le W12, c’est fort sympathique. Le châssis semble avoir été revu, car je trouve que ce Bentayga offre un comportement légèrement plus affuté.
Voilà, il est déjà temps de prendre le chemin de l’aéroport pour rentrer en Suisse. Cette visite fut très intéressante et la rencontre avec Stefan Sielaff super enrichissante, de quoi me faire totalement oublier que Bentley est sous le contrôle d’une marque allemande. Il y règne un esprit bien britannique qui laisse la part belle à la passion automobile.
Nos remerciements à Bentley Motors Limited et Bentley Genève – André Chevalley S.A. pour l’invitation à ce voyage à Crewe et pour la visite de l’usine Bentley.
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